Les styles de leadership évoluent, tout comme les organisations d'aujourd'hui. Nous partageons un extrait du livre The Next Generation Company où il est question de la nouvelle vague d'espace de travail de l'organisation.
Avec la disparition du contrôle hiérarchique systématique, le management par la confiance s'impose. Pour Frédéric Laloux, une hirondelle ne fait pas le printemps. La bienveillance des dirigeants ne suffit pas. Tant que les dirigeants n'auront pas revu complètement leur organisation, tout leur mode de fonctionnement, leur culture, la façon dont la finalité est mise en œuvre, tant qu'ils n'auront pas changé la façon dont le pouvoir est distribué, tant que les salariés continueront à venir au bureau avec des masques, leur entreprise ne sera pas fondamentalement plus humaine. Eliana Hohl, consultante pour la société de conseil suisse INVEE AG, n'en disconvient pas : "Nous avons besoin de plus de leaders et de moins de managers".
L'abolition des niveaux hiérarchiques au profit de collaborations plus horizontales implique de structurer les organisations comme des réseaux d'acteurs interdépendants, travaillant avec des pairs au service d'un même objectif. Cependant, Dwarfs and Giants affirme que cette horizontalité n'implique pas l'absence de leadership dans ce qu'il appelle Next:Land, qui comprend toutes les entreprises autonomes. Le leadership est également horizontal, conséquence d'une autorité distribuée et divisée en rôles, avec un leadership déployé temporairement et latéralement. Contrairement aux hiérarchies de pouvoir traditionnelles, les relations sont basées sur la réciprocité ; il n'y a pas de subordination totale des individus. Dans certaines tâches, un acteur en dirige un autre, et dans d'autres, la relation peut être complètement inversée, voire simultanée. Le leadership est donc une pratique dynamique et non une manifestation de supériorité.
Selon Yves Morieux, c'est au chef d'entreprise de conduire le changement. Cette impulsion ne peut être déléguée. Elle doit venir d'en haut car le changement est systémique. En réalité, le PDG est le "chef innovateur" de l'entreprise elle-même.
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Le Canadien Michel Bundock est d'accord. Le dirigeant doit passer de la parole aux actes. Cette discussion ne peut pas être une simple communication. Au Québec, explique-t-il, "on ne dit pas 'walk the talk', mais 'les bottines suivent les babines'". Cet exercice est particulièrement exigeant pour le leader, car une fois que l'on commence à donner sa confiance, on ne peut plus la reprendre. D'ailleurs, nous devons d'abord la mériter nous-mêmes. Tout signe d'inégalité qui subsiste dans l'organisation doit être éliminé. En outre, le droit à l'erreur ne doit pas être découragé par les dirigeants, mais remplacé par le "droit d'essayer", car tout le monde apprend en expérimentant. C'est au dirigeant d'être le moteur de la mise en œuvre de ces changements en faisant preuve d'une audace inspirée.
Attention toutefois à ce que la mise en œuvre du changement ne repose pas uniquement sur la vision d'un leader charismatique, prévient Martin Richer. En effet, selon le consultant français, les processus de libération à la Isaac Getz reposent souvent trop exclusivement sur le projet d'un leader charismatique et peinent à trouver leur pérennité une fois l'initiateur parti. Les équipes de Harley-Davidson, basées à Milwaukee, ont réalisé l'un des redressements les plus spectaculaires de l'industrie américaine sous la direction du PDG Richard Teerlink, arrivé en 1981. Teerlink a raconté l'odyssée de cette "libération", qui comprenait un projet de transformation sur 7 à 10 ans, dans ses mémoires de 278 pages ( 18). Après son départ en 1999, l'entreprise est toutefois revenue à une organisation beaucoup plus traditionnelle, avec un retour en force de la production allégée et du néo-taylorisme.
Le manager doit donc initier le changement. Il le fait pour stabiliser définitivement la nouvelle gouvernance de l'organisation qu'il dirigeait jusqu'alors. Il est donc essentiel qu'il se débarrasse de ses attributs et qu'il les partage avec le reste de l'entreprise.
Anna Zarudzka est tout à fait d'accord avec ce point de vue. Co-PDG de Boldare, elle a fondé cette société polonaise de logiciels visant à transformer leurs clients grâce à des outils numériques. Boldare est passé à l'autogestion en 2017, juste après avoir fusionné avec une autre entreprise. Anna Zarudzka détient actuellement 16 rôles au sein du conseil d'administration, qui est signé par l'ensemble de l'entreprise, comme l'exige Brian Robertson. Selon elle, une fois que le dirigeant a initié le changement, le leadership doit être réparti entre plusieurs rôles et au sein de quelques cercles. Elle a été dépossédée des trois quarts de ses rôles. Elle en exerce maintenant d'autres. La constitution, que beaucoup critiquent comme étant trop rigide, permet de répartir le leadership entre certains rôles bien définis (comme les liens et les facilitateurs). Cependant, il est encore possible d'en créer d'autres, par exemple au sein des cercles régionaux pour déconcentrer le leadership transformationnel.
Les nouvelles méthodes de gouvernance n'éliminent pas plus le leadership que le management. Ce dernier détermine la stratégie sans préciser les tâches à accomplir pour qu'elle soit poursuivie. C'est l'entreprise qui est gérée, pas l'individu. La principale différence avec l'organisation traditionnelle est que le leadership n'est pas incarné par une seule personne, mais qu'il est distribué, puisque tout le monde a de l'autorité.
La première nécessité est que le titulaire renonce à la direction. Cela ne signifie pas qu'il n'en aura plus une partie, ni même qu'il en aura moins, mais simplement qu'il l'assumera différemment. De plus, ce leadership sera issu de sa compétence réelle, héritée de son expérience et produite par sa capacité à fédérer autour de ses propositions. L'ancien chef hiérarchique doit désormais se considérer comme un mentor, et non plus comme un décideur. Il doit accompagner, suggérer, faire émerger, c'est-à-dire utiliser son pouvoir pour garantir l'autonomie et encourager la créativité. Concrètement, là où le leader traditionnel cumule les rôles (définir la stratégie, parler au nom de l'entreprise, fixer l'ordre du jour des réunions stratégiques, etc.), Holacracy, notamment, divise ce leadership multiforme et le répartit entre les premiers maillons des cercles, qui se voient chacun attribuer une tâche : suivre la stratégie, parler au nom de l'entreprise, fixer l'ordre du jour. Dans des équipes nouvellement dotées de plus d'autonomie et de responsabilité, le leadership sera plus que jamais une qualité recherchée, ainsi que la capacité à créer des dynamiques valorisant les individualités et leur engagement.
Auteur du livre délibérément provocateur Pourquoi les employés sont toujours une mauvaise idéeChuck Blakeman dirige le Crankset Group, un cabinet de conseil qui conseille les dirigeants d'entreprises du monde entier sur la manière de créer une culture d'entreprise plus forte, de transformer les managers en leaders et les employés en acteurs adultes autonomes, dans le but de parvenir à une croissance à long terme.
Selon lui, dans une entreprise autonome, le leadership est intrinsèquement organique. Il est donc clair que tout le monde, sans exception, est un leader. Le leadership se trouve dans tout acte qui améliore la vie, la condition ou la situation d'une autre personne dans la même organisation ou communauté, et chacun d'entre nous peut, en principe, assumer une telle responsabilité. Sans un leadership organique fort, l'échec de l'entreprise est assuré. En effet, lorsqu'une entreprise veut devenir Sarcelles, le manque d'engagement des dirigeants stratégiques en faveur du changement devient le principal facteur d'échec. Si la direction d'une entreprise verticale ne s'engage pas à 100 % dans la transition vers un modèle de leadership organique, la transformation sera délicate.
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Un autre risque subsiste. Il est lié à la captation du leadership par d'anciens dirigeants. Le CDO de la MAIF, Romain Liberge, le met en évidence avec les expérimentations organisationnelles que mène la mutuelle dirigée par Pascal Demurger. Aujourd'hui, deux équipes différentes, l'Agile Starter et une autre équipe qui déploie un management par la confiance, travaillent ensemble. Parallèlement, Romain Liberge tente de réorganiser leur fonctionnement en les regroupant en tribus.
"Une tribu a une mission, rassemble au moins deux équipes et est guidée par des objectifs commerciaux clairs - la fameuse métrique de l'étoile polaire qui vous guide à travers la nuée d'autres KPI plus ou moins intéressants qui menacent de vous faire dévier de votre chemin. Il rassemble les différentes équipes et permet la synchronisation. Les pratiques commerciales et le développement des compétences individuelles sont gérés par des guildes, sortes de cercles plus proches du modèle Spotify. Ces guildes se sont d'abord structurées autour des métiers du design et du développement informatique. Nous voulons harmoniser et orchestrer les meilleures pratiques en matière de technologie et d'interfaces, sans perdre de vue l'objectif principal, qui est d'autonomiser nos joueurs et d'assurer la qualité des services portés par la tribu. Nous parlons d'autodirection, de spécialisation et de gestion allégée, où les gestionnaires des guildes se préoccupent de l'apprentissage des compétences, tandis que les gestionnaires des tribus sont censés se développer tout en restant concentrés sur le "business".
Romain Liberge concède néanmoins qu'il s'agit d'un processus long et complexe. Il constate que "si certains mots clés comme décentralisation, résilience ou horizontalité sont brandis à tout bout de champ, beaucoup de freins, d'habitudes et de mentalités persistent malgré tout. Ce phénomène est tout à fait normal", assure-t-il. "En effet, souligne-t-il, la question qui se pose est la suivante. Nous créons neuf tribus, sur tel ou tel sujet, nous devons livrer tels ou tels nouveaux produits. Mais comment les gouverner au final ? Le risque que je vois dans ces mouvements de transformation est simple : le sponsor dans l'ancienne terminologie devient le chef de tribu dans la nouvelle. On a donc tendance à reproduire l'ancien monde dans le nouveau, en traduisant les rôles sans avoir revu fondamentalement la gouvernance et les processus". Néanmoins, il reste résolument positif : "Identifier ces risques et trouver des solutions pour les maîtriser, c'est finalement le jeu de l'exploration et de la découverte."