Emmanuelle Duez est une entrepreneuse en série et la fondatrice et directrice générale du Boson Project.
Le Projet Boson a pour mission de "créer les conditions permettant l'expression pleine et entière du potentiel humain, individuellement et collectivement".
Nous avons interviewé Emmanuelle pour connaître son point de vue sur l'avenir du travail et la place du travail à distance dans cet avenir.
Le premier point, le plus important, est que nous observons une fracture du corps social entre les faibles et les robustes. Entre les cols blancs et les cols bleus, les chômeurs partiels, les chômeurs non chômeurs et les chômeurs complets. Entre les plus âgés et les plus jeunes. Entre ceux qui sont à l'aise dans le monde numérique et ceux qui le sont moins. Entre managersentre les managers, les cadres et le reste du monde.
C'est un vrai défi parce que nous avions déjà des problèmes dans le monde d'hier qui étaient des problèmes traditionnels que nous avons mis derrière la diversité au sens large. Nous voyons que ces lignes de faille classiques s'ajoutent à d'autres lignes de faille qui sont très inquiétantes et l'un des grands défis auxquels l'entreprise est confrontée après la crise est la réconciliation.
Je pense qu'il y a de l'hypocrisie dans l'idée de mettre l'ensemble du personnel en télétravail lorsque c'est possible. Seuls 40 % des emplois sont télétravaillables. Il y a hypocrisie parce que ce n'est pas ce que demandent les travailleurs français.
Un certain nombre d'études montrent que, globalement, 2 ou 3 jours de télétravail par semaine sont les bienvenus, mais que, dans l'ensemble, les gens, en particulier les jeunes, attendent de retourner au bureau parce que le bureau est un lieu de connaissance et d'apprentissage.
C'est un lieu de justice sociale et de cohésion.
La deuxième hypocrisie est de voir certains dirigeants qui veulent le télétravail pour eux, mais pas pour les autres. C'est une autre façon de voir le sujet qui interroge aussi sur l'enjeu du télétravail. Et en effet, je crois qu'il ne faut pas oublier que " tout ce qui est excessif est insignifiant ", que les neurosciences tendent à montrer que trop de télétravail réduit la performance, car il crée une porosité entre vie professionnelle et vie personnelle qui est néfaste.
Il est donc nécessaire de savoir comment doser et qui sait mieux doser que l'individu concerné. On ne peut pas avoir une approche égalitaire du télétravail. Tout le monde est logé à la même enseigne, cela n'a aucun sens et nous le regretterons un jour ou l'autre.
Enfin, je pense que le bureau est mort, vive le bureau. Je pense que cela va amener les cadres à se poser la question :
Cela va être compliqué parce que jusqu'à présent, nous étions dans une approche un peu à la mode. Des bureaux tertiaires où tout le monde était flexible. Nous étions plus open space, flex office. On avait un baby-foot quand on était cool.
L'injonction est ici très différente. Il s'agit vraiment de faire de la sociologie des organisations, de réfléchir aux attentes qui imprègnent la société d'aujourd'hui, et surtout celle de demain.
Comment traduire ces attentes ? Cette culture, cette identité dans les murs, dans l'aménagement de l'espace, dans les matériaux choisis et dans l'implantation sur le territoire ?
Je crois qu'il y a au contraire un enjeu pour l'immobilier tertiaire au sens noble du terme, qui sera extraordinairement intéressant dans les années à venir parce qu'il faudra repenser la sociologie, la prospective de l'intelligence au sein de ces disciplines.
Plutôt que de parler de la prochaine génération d'entreprises, j'aimerais parler de la nouvelle génération d'entreprises.
Je pense que les plus grands sacrifices de l'époque sont ceux des jeunes et nous n'en parlons pas. C'est un peu l'angle mort des débats actuels.
Ce sont eux qui ont été les plus touchés par le confinement.
D'un point de vue économique et académique, bien sûr. Et ce n'est que le début de l'histoire puisque la crise économique et sociale majeure suivra logiquement le lockdown.
Les jeunes générations seront les premières à en payer le prix. Au-delà des effets à court terme de la crise, ce sont les grandes transitions sociétales qu'ils devront porter sur leurs épaules, et je m'y inclus évidemment, qu'ils le veuillent ou non.
Je pense que dans les années à venir, et même dans la manière dont nous abordons le sujet aujourd'hui, il est essentiel que nous accordions une grande attention aux plus jeunes car la tâche est immense et la responsabilité est lourde.
L'interview ci-dessus a été enregistrée lors de l'édition 2020 de The NextGen Enterprise Summit.